top of page


"VISER LE VRAI, DIRE LE JUSTE"
et des conséquences de la confusion

 

Jugement_par_dés.jpg

"Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer la plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes"
                               Clément Rosset, "le principe de cruauté" 1988.

drolling-demosthene-quimper2.jpg

Demosthène

Pour définir la fonction globale d’un système, il suffit de se poser la question : « à quoi sert principalement notre système ? » Par exemple, la fonction globale d'une automobile est de transporter des personnes ou des biens d'un point à un autre.

S'agissant du "système juridictionnel", sa fonction globale consiste à produire des décisions de justice (dispositifs) qui disent le droit et tranchent les litiges. Autrement dit, le système a pour fonction essentielle de « viser le vrai », c'est à dire "ce qui est conforme à la réalité, à la vérité ou qui lui correspond; à quoi ou à qui on peut légitimement donner son assentiment" (CNRTL), bref, à viser la vérité judiciaire.

Comme tous les systèmes, il s'agit d'un ensemble organisé de composants reliés entre eux et exerçant une influence les uns sur les autres pour accomplir sa fonction globale. Pour autant, tous les systèmes, qu'ils soient simples ou complexes, partagent certaines constantes essentielles et notamment, la maitrise de ses productions, ce dont le système juridictionnel continental contemporain ne saurait (encore de nos jours...) se prévaloir.

En effet, force est de constater qu’il ressort des productions de ce système, des distorsions significatives entre les données d'entrées (faits, personnalités, bases légales etc.), les modes opératoires (procédures) et les productions relevées (dispositifs). Ces distorsions qui pointent les non-conformités majeures d'un processus en incomplétude, sous-tendent une instabilité endémique qui est à l'origine d'une production juridictionnelle inéquitable et par suite, de constantes inégalités de traitement entre les patients[1]. En effet, l'analyse du système juridictionnel donne à voir des anomalies tant d'origine structurelles que conjoncturelles.

Ces distorsions aux effets préjudiciables attestent quotidiennement des dysfonctionnements d’un système au processus objectivement défectueux.

Dysfonctionnements qui résultent essentiellement de la confusion constante et quasi institutionnalisée entre viser le vrai (la vérité judiciaire) qui participe de la mission du juge, et dire le juste (poser la règle) qui relève de la compétence exclusive du législateur.

Anomalies d’origine structurelles, du fait de l’incomplétude normative du droit continental dont résulte indirectement le caractère objectivement aléatoire de ses productions ainsi que des distorsions significatives entre les principes fondamentaux posés (ntmt: art 6 DDHC, art 21 Cons. art Préliminaire CPP, etc.) et leur mise en œuvre juridictionnelle effective.

Anomalies qui résultent de la mise en œuvre quasi institutionnalisée du principe d'opinion effective.

Anomalies conjoncturelles, eu égard à la démesure du champ décisionnel et normatif abandonné aux individualités du juge, alors qu’originairement et exclusivement dévolu au législateur par la Constitution.

Cet abandon contraire au droit positif et notamment aux dispositions pénales[2] et constitutionnelles[3] constitue une anomalie au plan systémique et une facilité au plan politique[4].

Il participe à la quasi-institutionnalisation du comblement de la normativité continentale, par la mise en œuvre constante et graduée des fonds résiduels du juge qui viennent ainsi se substituer à la production législative, la seule investie de la légitimité institutionnelle.

En matière pénal, l’article préliminaire du CPP dispose que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon

"les mêmes règles".

Or les fonds résiduels qui résultent de la complexité des individualités, constituent une unité de règles insusceptibles de répondre à ces objectifs.

Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que la décision du juge soit rendue en conformité des spécificités systémiques et par suite, des objectifs téléologiques du système juridictionnel[5].

En outre, les anomalies et distorsions relevées semblent participer d'une d’une même confusion. Une confusion constante entre « poser le juste » dont l’exercice appartient exclusivement au législateur et « viser le vrai » qui participe exclusivement de la mission du juge.

A titre d'exemple, en matière pénale, le principe d’individualisation des peines permet au juge d’adapter la sanction d’un condamné ainsi que ses modalités d’exécution afin de tenir compte de la personnalité de l’auteur d’une infraction et/ou des circonstances de celle-ci.

Si le principe est intangible, il suffit d'observer la discordance sensible entre les dispositifs relatifs à des affaires identiques (c.-à-d. à droit et jurisprudence constante), pour constater que c’est au cœur du dispositif dont l'objet est précisément de « dire le vrai » que l'on observe quotidiennement l'incohérence et les effets de sa mise en œuvre. 

Le Code pénal consacre d’ailleurs une section entière aux « modes de personnalisation des peines », qui débute par l’article 132-24 prévoyant que « les peines peuvent être personnalisées selon les modalités prévues à la présente section ». Le principe d’individualisation des peines est reconnu par la décision du 22 juillet 2005 du Conseil constitutionnel qui présente ce principe comme la concrétisation pénale de l’article 8 de la DDHC.

Pour autant, si l’individualisation des peines doit empêcher les peines automatiques en s’adaptant aux circonstances de chaque infraction, l’interdiction des peines automatiques n’est pas absolue. En effet, le Conseil constitutionnel a reconnu le droit au législateur de créer des peines complémentaires obligatoires pourvu que celles-ci soient expressément prononcées par le juge et soient en lien direct avec la nature de l’infraction (DC, 29 septembre 2010).

Cette reconnaissance vient au soutien d'une position doctrinale que nous portons et qui consiste notamment à affirmer que les peines « automatiques » prononcées par le juge sont conformes à l’esprit de la Constitution.

En effet, de notre point de vue, le caractère automatique des peines (qui fait en réalité pleinement écho à la notion de normativité en complétude), n’est en rien contradictoire avec le principe d’individualisation des peines, notamment dans l'hypothèse ou le mode opératoire dudit principe intègre le concours d'un référentiel supplétif.

D'autre part, il est constant que "dire le droit", dans la continuité des objectifs téléologiques originels de la juridicité continentale, est un acte qui s’inscrit nécessairement dans une approche systémique conforme et respectueuse du droit positif et de la légitimité institutionnelle, la seule propre à garantir l’égalité des patients devant la loi.

Dès lors, les dispositifs juridictionnels qui ont pour objectif de « viser le vrai », ne sauraient résulter d’une conviction individuelle, mais de la solution d’un syllogisme aux termes légitimement établis.

Dans cette conception, l’action consistant à « viser le vrai », est exclusive de toute notion subjective (ntmt de mansuétude ou de sévérité) et ne saurait être à l'origine de jugements et d'arrêts, rendus sous l'empire d'appréciations morales émanant d’individualités illégitimes.

En démocratie, il n’appartient en effet qu’au seul législateur de mettre en œuvre ce type d’appréciations, précisément dans l’exercice de sa mission législative consistant à « poser le juste ».

Pour autant et nonobstant les principes fondamentaux du droit continental, force est de reconnaitre que le système juridictionnel participe d’un mécanisme qui combine habilement et opportunément les intérêts politiques du législateur et les velléités existentielles de la magistrature[6].

Dans cette dynamique, il y a fort à parier que la confusion désormais "institutionnalisée" entre « viser le vrai et dire le juste » perdurera malgré ses effets dévastateurs, aussi longtemps que les intérêts des agents de la juridicité seront préservés, au détriment de l’intérêt général et du principe de bonne administration de la justice.

 

[1] par opposition à l’agent, celui (celle) qui est tenu de se soumettre à leur volonté (justiciables, demandeurs, défendeurs).

[2] Art Préliminaires CPP.

[3] Art 21 Cons.

[4] Vr; « éloge de l’inhumanité juridictionnelle »

[5] La mise en œuvre d’un principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite, le respect de ce qui est conforme au droit.

[6] Vr : « humaine trop humaine séparation des pouvoirs »

bottom of page