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REPENSER L'EGALITE DEVANT LA JUSTICE

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La question de "la complétude du possible"

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         En légiférant hors du principe de complétude du possiblele législateur méconnait sa compétence.

Il faut lire les textes de Simone Weil sur la condition de l'ouvrier d'usine pour savoir à quel degré d'épuisement moral et de désespoir silencieux peut mener la rationalisation du travail[1].

De même, il suffirait d'observer objectivement la nature et la portée des signes cliniques qui affectent  le système juridictionnel continental contemporain pour y voir apparaitre, à l'aune de leur spécificité et de leur étendue, les effets préjudiciables qui résultent directement ou indirectement de la portée de l’incomplétude normative et textuelle. 

De fait, si l’organisation d'une activité économique requiert que soient élaborés des principes rationnels afin d'obtenir le maximum de rendement avec un minimum de coût, le système juridictionnel requerrait, au soutien de l'efficience des principes fondamentaux qui le sous-tendent, des mécanismes qui soient de nature à atténuer les effets dommageables dont encore de nos jours, il est à l'origine.

Dès lors, après avoir posé la problématique et articulé la critique vient le temps des propositions. Il convient donc de rechercher les pistes qui pourraient être de nature à poser rationnellement les contours d’une complétude du possible afin d'identifier les vecteurs susceptibles d'ouvrir la voie à des solutions juridictionnelles à la fois plus cohérentes, efficientes et conformes aux testes fondamlentaux.

Dans cette dynamique, notre hypothèse reste que la rationalisation de la décision juridictionnelle, ne saurait faire l’économie d’une démarche visant à passer du traitement actuel qui apparait à la fois général et indifférencié - notamment au terme de pratiques aléatoires institutionnalisées - à la mise en œuvre d’une méthodologie articulée sur fond de complétude du possible. Il s'agirait plus précisément d'un protocole résultant de l’interaction de critères prédéfinis, validés par le législateur et susceptibles d’entrer dans le processus décisionnel d’individualisation mis en œuvre par le jugeant. En effet, de notre point de vue, en légiférant hors du principe de complétude du possible, le législateur méconnait (en permanence) sa compétence. C'est dans ces circonstances que la mission du juge consiste à dire la vérité judiciaire des causes qui se présentent devant lui.

Pour mener à bien cet exercice difficile et complexe, il [le juge] ne dispose ni du temps matériel ni de la vision globale qui lui permettrait de situer ses décisions dans le strict cadre de l'intérêt général (public ou privé) visé par le législateur, ou même dans le respect des règles constitutionnelles (Ntmt : art 6 DDHC, art prél. CPP, art 24 Cons.) et des principes fondamentaux du droit (L’interprétation stricte des lois est également l’un des principes fondamentaux du droit. Dans ce cas, les tribunaux doivent appliquer strictement la lettre de la loi sans tenir compte des considérations sociales ou politiques. Cela signifie que même si une application stricte de la loi peut produire un résultat injuste, elle doit quand même être appliquée si elle est conforme à la lettre de la loi).

C'est la raison pour laquelle il serait utile que le législateurs complète autant que possible [complétude du possible] les dispositions qu'il érige, afin de les investir dès leur promulgation du sens objectivement conforme à la portée recherchée et fixée à l’issue du débat parlementaire. 

La démarche vise tant l’extension des critères visant à préciser les textes, que la systématisation d’un protocole d’élaboration de dispositions « complètes ». Il s’agit de parvenir ainsi à mettre un terme aux productions législatives manifestement "incomplètes" à l'instar de véhicules dénués de toute effectivité a priori qui ne portent que la médiocre représentation générique de leur objet.

Médiocre représentation dénuée de toute effectivité, car si le texte littéraire est un tissu d'espaces blancs, d'interstices à remplir, et si celui qui l'a émis prévoyait qu'ils seraient remplis et les a laissés en blanc[3], dans l'espace de la juridicité le raisonnement contraire devrait prévaloir.

En effet, l’auteur légitime de la norme se doit d’anticiper les effets délétères notamment en termes d'inégalités et d'insécurité juridique, susceptibles de résulter de ce tissu d’espaces blancs. Ainsi que Victor Cousin avait coutume de dire : « l'incomplet est de la vérité encore, et déjà de l'erreur[2] ».

Certes, dans l'espace de la juridicité, le travail d'inférence des différents récepteurs est en effet plus complexe et moins assuré que dans un contexte conversationnel par la distance plus ou moins importante qui existe entre la situation d'énonciation et la situation de réception. Il est en outre plus complexe du fait de l'impossibilité de recourir à des ajustements interprétatifs par l'entremise d'une négociation directe avec les créateurs – mandataire-édificateur ou jugeant-édificateur. En outre, à l’intérieur ou hors du champ juridictionnel, l'incomplétude stratégique apparaît quand le lecteur a de bonnes raisons de penser que l'auteur lui cache quelque chose, qu'il ne se montre pas coopératif au niveau de la représentation des événements, ou quand il devient patent rétrospectivement, que ses hypothèses ont été manipulées.

Une telle incomplétude peut être assimilée à la figure de la paralipse décrite par Genette[4] (1972) et ces analyses nous conduisent à établir un parallèle entre l’incomplétude stratégique du discours littéraire et l’incomplétude normative et textuelle relevée qui participe de la construction du dispositif juridictionnel.

Un parallèle en effet en raison du fait que les auteurs procèdent à leur mesure, par inertie ou volonté, au transfert de l’élaboration du message. Certes, les textes normatifs sont immanquablement complétés par les acteurs successifs de la juridicité de manière à être rendus intelligibles et surtout applicables à la cause. Toutefois, par économie, ou intérêt, ils laissent nombreux les non-dits, les espaces blancs, que les agents sont invités à combler avec leurs connaissances du monde. Ainsi, Umberto Eco qualifie les textes - et les dispositions juridiques sont des textes - de « machine paresseuse » en l'opposant à l'activité importante du lecteur : Si [. . .] le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit restés en blanc, alors le texte n'est pas autre chose qu'une machine présuppositionnelle[5]. Certes, l’interprétation qu’il convient de ne pas assimiler aux fonds qui l’alimentent[6], n’est ni le fait d’un seul et unique interprète, ni le résultat d’une lecture univoque.

À cet égard, l’œuvre normative du mandataire-édificateur fait régulièrement l’objet de légitimes critiques de nature politique qui expriment une opinion.

Quant à l’opinion manifestée par l’interprète - susceptible en matière juridique de cumuler les rôles de créateur et d’interprète ainsi que nous l’avons précédemment exposé -, la position de Gadamer sur le sujet et la manière dont il pose la mise en jeu de l’opinion de l’interprète, est édifiante à bien des égards. Selon lui : « Le texte dit quelque chose, mais cette activité du texte est due en définitive à l’action de l’interprète. Ils y ont part l’un et l’autre. […] En ce sens, il ne s’agit certainement pas, dans la compréhension, d’une “compréhension historique” qui reconstruirait ce qui correspond exactement au texte ; ce que l’on propose au contraire de comprendre, c’est le texte lui-même[7].

Ainsi, dans cette conception, les idées propres à l’interprète, les fonds résiduels qui lui sont propres, participent toujours, aussi et dès le début, au réveil du sens du texte. C’est cette « opinion » dont on peut suivre la trace au cœur des éléments constitutifs du dispositif, cette trace qui atteste de cette combinaison dont résultent essentiellement les inégalités juridiques, qu’il convient en tout état de cause de réduire. De fait, dans cette conception elles ne sont que source d’inégalités et notamment de cette inégalité juridictionnelle dont la portée des signes cliniques traduit les atteintes au pacte social, alors que le rayonnement de ses effets collatéraux vient souligner tant le désengagement des pouvoirs publics que le rejet des patients[8]. Toutefois, la tâche est rude et tous les mécanismes susceptibles d’y parvenir sont nécessairement les bienvenus.

C’est d’autre part dans une démarche parallèle en quête de qualité, que le Conseil constitutionnel a découvert plusieurs principes relatifs à la qualité de la loi et leur a conféré valeur constitutionnelle en les rattachant aux énoncés constitutionnels les plus diverses. La clarté - qualifiée tour à tour « d’exigence constitutionnelle », « d’objectif », puis à nouveau « d'exigence » et enfin de « principe » - était fondée sur l’article 34 de la Constitution. Les objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité sont quant à eux, censés découler d’une lecture combinée d’un quart des articles de la DDHC. Enfin, le Conseil a pu faire mention d’une « exigence de précision » que l'article 72-2 de la Constitution requiert du législateur organique. Quant au Conseil d’État, il se réfère à un principe, ou objectif « constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme », sans le lier à une disposition écrite. Les principes définis par le juge constitutionnel ne faisant référence qu’à la loi, le Conseil d’État n’a pu utilement lui emprunter sa formulation. Il a été contraint de produire un principe distinct.

D’autre part, les censures pour imprécision sont rares. La loi doit prémunir contre « une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ; que pour autant, ces autorités conservent le pouvoir d’appréciation, et, en cas de besoin, d’interprétation inhérent à l’application d’une règle de portée générale à des situations particulières[9] ».

Le Conseil peut ainsi se présenter comme respectueux de la volonté du constituant – puisqu’il se borne à garantir la rationalité de la production législative –, mais également gardien des droits et libertés, – puisqu’il prémunit contre l’arbitraire des autorités d’application. Pour autant, l’étendue des carences textuelles qui caractérise l’incomplétude normative, induit nécessairement, le transfert d’une partie du pouvoir politique du mandataire-législateur au jugeant et c’est ainsi que ce pouvoir politique illégitime, trouve son expression au cœur même du dispositif. C’est également ainsi que l’excessive incomplétude tant textuelle que normative, contraint le jugeant à faire œuvre (certes de bon gré) de législateur à la place du législateur. De plus et ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, cette action de substitution outre ses conséquences au plan politique et institutionnel induit naturellement et en tout premier lieu des effets juridictionnels délétères. Par suite, la limite du possible qui fixe également la limite de l’arbitraire, ouvre l’espace à l’abus de non-droit.

Pour ces motifs, force est de reconnaitre que les patients n’ont d’autre choix que de s'en remettre à cet « arbitraire légal », à la mesure de ses expressions et de ses effets. Afin de tenter d'en établir l'étendue, nous allons nous attacher à illustrer l’hypothèse de la complétude du possible, à l’aune de l’article 311-1 du Code pénal qui dispose : « le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » ainsi que de l’article 311-3 qui vient fixer le quantum maximum de la peine à trois ans d’emprisonnement et à 45000 euros d’amende. En complément de la disposition, l’article 311-2 vient caractériser la soustraction frauduleuse d’énergie qui pourrait être qualifiée au demeurant de superfétatoire alors que les dispositions de l’article 311-4 fixent les circonstances aggravantes de l’infraction.

Une première observation nous porte à constater que les conditions de mise en œuvre de la disposition et notamment du quantum, demeurent les plus étendues (comme par exemple en matière de vol simple), abandonnés qu’ils sont au pouvoir souverain du jugeant-du-fond. Il semble qu’en la matière, le mandataire-édificateur n’ait pas estimé « possible » - ou utile - de rationaliser ce champ d’incertitude en procédant à sa réduction.

Il en résulte qu'en tout état de cause, c’est à l’aune de cette appréciation souveraine, puisée à la source des fonds résiduels que se détermine le quantum, qu’émergent les inégalités et que l’aléatoire peut prospérer dans toutes ses dimensions, au seul détriment il est vrai, des patients.

Partant, à quels obstacles pourrait être confronté le mandataire-édificateur qui aurait pour projet d’identifier et de reconstituer la chronologie et la nature des séquences, constitutives de la démarche intellectuelle du « jugeant », afin de la rationaliser autant que faire se peut ?

Seraient-ils par nature insurmontables ainsi que le prétendent à l'unisson les tenants du résidualisme ?

S’agissant du vol simple, pourquoi ne pas imaginer des conditions cumulables ou des catégories alternatives, sur le fondement desquelles pourrait se construire une partie substantielle du quantum. Dès lors, le sexe et l’âge de la victime, la valeur patrimoniale de l’objet volé, le rapport patrimonial entre la valeur de l’objet et les moyens d'existence de la victime, le type et le degré des rapports préexistants entre le voleur et la victime - en complément des liens familiaux -, le degré de dangerosité scientifiquement évalué, pourraient constituer autant de critères susceptibles d’être inscrits soit dans la loi, soit en annexe dans une nomenclature type comme c'est déjà le cas en termes de fixation des principes pour l'évaluation de la réparation résultant d'infractions ayant causé des dommages corporels à une victime en matière d'évaluation de l'indemnisation (Dintilhac).

 

Une nomenclature qui poserait les critères in abstracto, utiles au traitement des infractions en matière pénale et qui tiendrait lieu de référentiel supplétif à l'instar d'un guide qui s'opposerait au jugeant en s’imposant à lui. Et c’est seulement après avoir fait application de cette normativité « complète » et opposable, que, dans une marge aussi réduite que possible, le jugeant pourrait légitimement déployer son action à l’aune d’un pouvoir souverain revisité. D’autre part, ce qui vaut en matière pénale, vaut également en matière civile et pourquoi ne pas imaginer, dans une même démarche tendant à la complétude du possible, de rendre certaines nomenclatures et méthodologies existantes, opposables au jugeant afin qu’il y soit irrémédiablement lié.

S’agissant des lois existantes, une réflexion pourrait porter sur la mise en œuvre rien ne s’opposerait à ce qu’il soit adjoint aux lois existantes, un complément normatif fondé sur une nomenclature spécifique qui lierait le jugeant du fond. Certes une construction normative d’un nouveau type mobiliserait des ressources et il conviendrait d’accroître le nombre de représentants – et non d’en réduire le nombre ainsi qu’il est projeté de le faire -, tout en diminuant dans les mêmes proportions les indemnités servies. Une commission des lois rénovée, constituée de parlementaire, de juristes et de magistrats détachés de la Cour de cassation et du Conseil d’État pourrait être créée à cette fin. L’enjeu est de taille dès lors qu’il s’agirait tout à la fois, tant de réduire les injustices en opérant une réduction drastique des inégalités juridictionnelles, que de parvenir à restaurer un niveau de sécurité juridique acceptable.

Qu’on se rassure, la marge d’appréciation du jugeant du fond trouverait son expression à l’aune des graduations et des secteurs délimités et établis. Pour autant, l’obligation faite au jugeant de prendre en compte si nécessaire dans sa dernière phase d’évaluation, l’exposé des motifs qui en est à l’origine, pourrait être de nature à remédier aux dernières difficultés. Malgré les résistantes, des pistes sont explorées et c’est bien dans l’objectif de réduire les disparités de traitement que l’exécutif procéda à l'édification du barème institué par la loi Travail (ordonnance n° 2017-1 387 du 22 septembre 2017), relative au plafonnement des indemnités en cas de licenciement injustifié.

Entré en vigueur fin septembre, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement injustifié a fait l’objet de débats entre le bâtonnier de Paris, et les vice-présidents des prud’hommes de Paris et de Bobigny, à l’occasion d’une table ronde organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale. D’abord censuré par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la loi Macron du 6 août 2015, puis retiré du projet de la loi Travail, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement injustifié fut finalement institué[10] -. Il s’applique aux licenciements prononcés à partir du 24 septembre. Des experts du contentieux prud’homal ont débattu de la validité juridique et de l’intérêt pratique de cette mesure destinée, selon l’exécutif, à lever les freins à l’embauche et ainsi lutter contre le chômage de masse. Il est d’ailleurs à noter qu’en matière de régulation prud'homale la solution à la complétude textuelle et par suite à la rationalisation est apportée par ceux-là mêmes qui en combattent le principe.

En effet, pour la vice-présidente aux prud’hommes de Bobigny et militante CGT, imposer un barème d’indemnités en cas de licenciement abusif serait un non-sens : « Tout justiciable qui se présente aux prud’hommes est un cas particulier ». Elle poursuit en indiquant : « Dans un procès, nous tenons compte de nombreux facteurs : l’historique du salarié, son âge, sa situation familiale, le fait qu’il ait ou non retrouvé un travail, le climat du licenciement injustifié, l’éventuelle violence du licenciement, la taille et la situation financière de l’entreprise, etc. » Toutefois, tout en contestant le principe du barème et alors qu’elle indique « En tant que juge, je trouve le barème choquant et c’est aussi le cas pour les conseillers employeurs, qui pensent également être capables d’allouer des indemnités cohérentes au regard du cas présenté », elle n’en indique pas moins pêle-mêle les critères sur le fondement desquels les jugeant dressent eux-mêmes les éléments constitutifs de leur barème individuels sur le fondement duquel ils décident…

Cependant, le raisonnement aurait gagné à être complété, car si ces critères sont pris en compte par le jugeant, force est de reconnaître qu’ils le sont sans ordonnancement, de manière aléatoire et dosé avec toute la subjectivité qui participe de chaque individualité, avec humanité. C’est d’ailleurs ce qu’affirme et revendique le vice-président pour le MEDEF aux prud’hommes de Paris : « Le conseiller prud’homal juge en droit. Mais au bout du compte, les décisions sont prises à quatre, et cela instille toute l’humanité nécessaire. Il faut préserver, ce que l’on nous a appris en droit, l’appréciation souveraine des juges du fond ».

Partant, nous voici de nouveau face à la nécessité de l’humanité et à la préservation de l’appréciation souveraine et il convient de prendre acte de cette surprenante sainte alliance entre CGT et MEDEF. Pour autant, il conviendrait par ailleurs de s’interroger sur les possibilités de généraliser le principe et de l’étendre à la matière pénale. D’autant que, si d’autres voies sont à découvrir, les quelques barèmes et nomenclatures mis en œuvre démontrent chaque jour leur efficacité à venir limiter tant l’emploi de fonds résiduels que le champ de l’arbitraire et par suite des inégalités juridictionnelles.

Ainsi, en résonance des dispositifs du passé, nous poserons l’hypothèse d’un tarif des compositions des temps modernes tant il semble possible de compléter la loi afin d’uniformiser son application, de réduire les inégalités, sans pour autant porter atteinte au principe d’individualisation. Toutefois, le raisonnement peine à convaincre et les obstacles restent nombreux car ainsi que nous l’avons précédemment observé, il est régulièrement opposé les difficultés notamment techniques, qu’il y aurait à élaborer une construction législative plus accomplie. Le motif récurrent, est relatif à la quasi-impossibilité de mettre en œuvre une disposition « complète », lors de la phase d’individualisation. Toutefois, ainsi que préalablement indiqué, cet argument inopérant, participe d’une confusion convenue entre individualisation de la peine et choix individuel[11].

Quoi qu’il en soit, l’institution de barèmes semble retrouver les faveurs du législateur non sans susciter la résistance des agents qui voient sans doute là une partie de leur pouvoir leur échapper.

Toutefois, il convient également de souligner les efforts de certaines juridictions et ainsi que le mentionnait Jacques Degrandi, Premier Président de la cour d’appel de Paris, à l’occasion du discours prononcé lors de l’Audience Solennelle du 9 janvier 2013 : « la cour d'appel de Paris a elle-même engagé un travail d'harmonisation de l'indemnisation des victimes d'un préjudice corporel au travers d'un recueil méthodologique. Les travaux se poursuivent actuellement avec vingt-trois cours d'appel partenaires soucieuses de disposer d'un référentiel commun qui permettra de réduire les disparités d'indemnisation tenant aux références multiples, à la diversité des organismes intervenants, et à l’absence d'outil de capitalisation neutre et lisible[12] ». Finalement, tout arrive... dès lors qu’au sein même de l’institution judiciaire, des voix s’élèvent pour dénoncer les disparités de traitement et appeler à leur réduction, mais sans pour autant évoquer les mécanismes qui permettraient d'y parvenir.

Toutefois, reste à savoir si cette bonne volonté sera suivie d’effets et si ces nouveaux outils seront effectivement opposables, ou s’il ne s’agit que d’une catalogue d’options superfétatoires.

En effet, quels que soient les mécanismes mis en œuvre, la démarche juridictionnelle implique nécessairement une intervention "normative" du jugeant qui va au-delà de la stricte application syllogistique de la règle à la cause. Il ne s'agit donc ni de prétendre supprimer totalement cette intervention, ni de partir en quête d’une rédaction fondée sur une complétude du possible exhaustive et susceptible d'être mise en œuvre de manière indifférenciée dans tous les cas d’espèce.

En revanche, le principe de complétude du possible participe d’une démarche qui vise à rationnaliser la construction du dispositif juridictionnel et à réduire l’expression et la portée des  (trop humaines) individualités, en limitant à leur portion congrue, les dispositions « aux généralités trop générales » et du même coup la portée des effets juridiques et sociaux préjudiciables, dont elles sont directement ou indirectement la cause.

 

[1] Albert Camus, l’Homme révolté, Gallimard, Paris, 1951, p. 267.

[2] Victor COUSIN, Histoire de la philosophie moderne, t. 1, 1847, Ladrange, Paris,  p. 155.

[3] Umberto ECO, Lector in fabula,  Ed. Grasset & Fasquelle, Paris,1985.

[4] L'apport théorique propre de Genette a trait aux altérations de la perspective. Dans la plupart des récits, même lorsque plusieurs types de focalisation sont utilisés, une perspective dominante est adoptée. Il arrive alors que des transformations surviennent, incompatibles avec ce mode dominant. Il convient de distinguer deux sortes d'altération: la paralipse, qui consiste à donner moins d'information qu'il n'est en principe nécessaire (Genette 1972, 211), par exemple en focalisation interne, quand on n'apprend qu'à la fin du récit ce que le personnage focal ne pouvait pas ignorer et qu'un tel point de vue aurait dû révéler; - la paralepse, c'est-à-dire, à l'inverse, le fait de donner plus d'information que ce qui est permis par le mode dominant, par exemple une incursion dans la conscience d'un personnage au cours d'un récit généralement conduit en focalisation externe. Ces notions sont utiles car elles qualifient des phénomènes qui peuvent être essentiels pour la compréhension globale du récit.

[5] Op. cit Eco, Lector in fabula, p. 27.

[6] V/ Supra : « les éléments constitutifs du dispositif ».

[7] Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode, 4e éd. trad. par Pierre Fruchon, Jean Grondin et Gilbert Merlio, Paris, Le Seuil, 2006 [1986].

[8] V. supra : « le rayonnement des effets collatéraux ».

[9] Déc. n° 2001-455 DC. Il faut noter, là encore, que le juge adopte une théorie « mixte » de l’interprétation plus compatible avec les jugements d’imprécision que la théorie cognitive.

[10] V. Dalloz actualité, 4 sept. 2017, art. A. Bariet et J.-B. Davoine.

[11] V. supra: “l’individualisation”.

[12] http://www.ca-paris.justice.fr/art_pix/Discours_du_PP_09_01_2013.pdf

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