les technologies blockchain
LES TRAVAUX DE PRIMAVERA DE FILIPPI
Chargée de Recherche au CNRS
Primavera De Filippi est chercheuse au CERSA (unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II) et chercheuse associée au Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard), où elle analyse les implications juridiques des architectures distribuées. Sa recherche se concentre notamment sur les enjeux juridiques soulevés par les technologies “blockchain” —telles que Bitcoin, Ethereum, etc.— et comment ces technologies peuvent être utilisées afin d’élaborer des nouveaux modes de gouvernance distribuées pour encourager la collaboration et la prise de décision participative.
Elle a effectué ses études à l’Université Bocconi de Milan, à l’université de Berkeley en Californie, et à l’Institut Universitaire Européen de Florence, où elle a obtenu son doctorat. Elle est membre du Global Agenda Council on the Future of Software & Society au Forum Economique Mondial (WEF), ainsi que la fondatrice de la Coalition Dynamique sur les technologies blockchain (COALA) au sein de du Forum International sur la Gouvernance d’Internet (IGF).
Au-delà de sa carrière académique, Primavera est experte légale au sein de Creative Commons France et coordinatrice au sein de l’Open Knowledge Foundation. Elle participe aussi depuis plusieurs années aux activités d’un collectif artistique qui produit des œuvres interactives, numériques et mécaniques, sous des licences ouvertes.
Mme de FILIPPI, chercheur au CNRS, rattachée au Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques (CERSA), a reçu une bourse pluriannuelle de près de deux millions d'euros pour monter une équipe de recherche. Elle est en effet lauréate d'une consolidator grant. Ce financement s'inscrit dans les programmes du Conseil européen de la recherche (ERC) de bourses individuelles. Ces bourses ont pour objectif de permettre à de jeunes scientifiques de monter une équipe de recherche intégralement financée par cette bourse, autour d'un projet de recherche original, sur des sujets ambitieux. Il n'y a donc aucun filtre de présélection thématique : seule compte l'excellence scientifique.
Le projet de Mme de FILIPPI s'intitule « BlockchainGov ». Il vise à éclairer les modalités de gouvernance existantes et à proposer un ou plusieurs nouveaux modèles, visant à utiliser la blockchain pour renforcer les relations de confiance avec les institutions existantes.
Mais tout d'abord, quelques éléments de contextualisation. Aujourd'hui, lorsqu'un individu effectue une transaction, il délègue à un acteur intermédiaire (par exemple une banque, une mairie, etc.) le soin d'opérer la transaction. En particulier, l'individu n'a aucune visibilité sur les dispositifs techniques utilisés et sur ce qui est réellement fait. La relation de confiance est donc impérative. La blockchain est une technologie qui constitue un moyen de renforcer, voire de retrouver, la relation de confiance, en incorporant des garanties techniques (en l'occurrence, un algorithme). En effet, la particularité de la blockchain est de verrouiller en son sein les informations nécessaires à l'exécution de la procédure en codifiant les règles dans son infrastructure. Une fois cette opération effectuée, nul ne peut unilatéralement en modifier le contenu, ce qui permet aux acteurs impliqués d'être assurés de la prédictabilité et de l'intégrité de la procédure. Tous y ont également accès. La convergence de ces éléments permet donc d'assurer une traçabilité et une auditabilité aujourd'hui sans égale.
Pour toutes ces raisons, l'utilisation systématique et systémique de la blockchain pourrait permettre aux acteurs institutionnels de renforcer le lien de confiance avec l'usager. Le projet « BlockchainGov » se déploiera donc en trois étapes. Dans un premier temps, Mme de FILIPPI et son équipe de recherche procèderont à une analyse de la situation. En effet, la blockchain a été largement analysée par le prisme des monnaies virtuelles comme le Bitcoin. En revanche, la question de la pertinence de la technologie blockchain comme instrument technologique de régulation est plus récente. Diverses initiatives publiques ont vu le jour dans le domaine de la gouvernance publique, en Estonie, Suède, Géorgie, Suisse ou encore au Brésil ou au Ghana, avec des niveaux de dissémination variés. Des initiatives privées ont également vu le jour, au compte-goutte, dans différents domaines (banque, logistique, etc.).
Toutefois, force est de constater qu'aujourd'hui, l'usage de la technologie blockchain n'est pas aussi généralisé qu'on pourrait l'attendre, au vu des garanties qu'elle offre. Les questions techniques (grande consommation énergétique, capacités de stockage importantes, etc.) expliquent en partie ces réticences, mais constituent la face émergée de l'iceberg. L'une des réponses à cette question est celle de la gouvernance interne de cette technologie, qui oscille entre deux perspectives : gouvernance on-chain par l'infrastructure ou gouvernance off-chain de l'infrastructure. Dans le premier cas, c'est l'infrastructure qui contient les règles de gouvernance quand dans le second, des règles institutionnelles sont appliquées pour réguler l'infrastructure. Or, aujourd'hui, les systèmes institutionnels sont basés sur des modèles off-chain quand la technologie blockchain utilise une gouvernance on-chain.
L'étude des différents modèles permettra donc à l'équipe de recherche « BlockchainGov » d'analyser en profondeur la gouvernance off-chain dans le domaine, et en particulier les dynamiques de pouvoir à l'oeuvre, afin de proposer, dans un deuxième temps, des solutions pour augmenter la confiance dans la gouvernance, en y intégrant la technologie blockchain. Le dernier chapitre de la recherche, le plus ambitieux, prolongera ces réflexions afin de proposer des mécanismes de coordination pour résoudre les problèmes de gouvernance globale, incluant aussi bien les acteurs étatiques que la société civile et les acteurs privés, sans y intégrer une coordination centralisée.
Ce projet de recherche, ambitieux, s'inscrit pleinement dans les préoccupations actuelles. La question de la relation de confiance, tant au niveau national qu'européen ou international, constitue une problématique fondamentale, tout particulièrement lorsqu'y sont couplées les problématiques technologiques, inhérentes au développement des sociétés au XXIe siècle. Plus généralement, cette recherche s'inscrit dans les thématiques de recherche du CERSA, qui s'intéresse aux mutations des normativités, dans une perspective juridique conservant une interdisciplinarité certaine.
Livres 2016
De Filippi, P., Wright, A. (2016) Blockchain and the Law. Harvard University Press (à paraître). 2012 De Filippi, P. (2012) Copyright Law in the Digital Environment : Private Ordering and the regulation of digital works, LAP Lambert Academic Publishing.
Livres édités
2016 Bourcier, D., De Filippi, P. (eds.) (2016) Open Data & Data Protection : Nouveaux defies pour la vie privée. Mare & Martin (à paraître) 2015 Belli L., De Filippi P. (eds) (2015) Net Neutrality Compendium: Human Rights, Free Competition and the Future of the Internet, Springer. 2014 Belli L., De Filippi P. (eds.) (2014) Network Neutrality : an ongoing regulatory debate, 2nd Report of the Dynamic Coalition on Network Neutrality. 2013 Belli L., De Filippi P. (eds.) (2013) The value of Network Neutrality for the Internet of Tomorrow, 1st Report of the Dynamic Coalition on Network Neutrality. 2009 Fernandez-Barrera, M., Gomes de Andrade, N., De Filippi, P., Viola de Azevedo Cunha, M, Sartor, G., Casanovas, P. (eds.) (2009), Law and Technology: Looking into the Future, European Press Academic Publishing